Josep Pla est considéré comme un auteur majeur en Catalogne, un de ceux ayant le plus contribué à la modernisation et la diffusion de la langue catalane. Je ne peux évidemment pas avoir d'avis à ce propos, l'ayant lu en français et ne connaissant pas le catalan. Mais Le cahier gris est intéressant à plus d'un titre.
Il se présente comme un journal intime, qui couvre une courte période, du 8 Mars 1918, jour anniversaire de ses 21 ans, au 17 Novembre 1919, veille de son départ à Paris comme correspondant du journal La publicidad. Il raconte (800 pages quand même!) ses faits, gestes, réflexions, rencontres pendant ces 20 mois. Il est fils d'une famille de propriétaires terriens plutôt aisée, et se partage entre son village d'origine, Palafrugell, et toute la région de l'Empourdan où il aime se déplacer, et Barcelone où il fait des études juridiques déjà depuis 4 ans. On a droit à de belles descriptions de paysages de la Costa brava, de quartiers de Barcelone, de gens de sa famille ou de gens rencontrés, des analyses de son état d'esprit d'étudiant désargenté (il essaye de se débrouiller sans aide), passionné d'écriture, obligé pourtant de se coltiner l'université dans des matières qui l'ennuient, des réflexions multiples sur la société catalane espagnole et la politique.
On se dit d'abord que pour un jeune homme de 21 ans, la maitrise de la langue écrite, le volume des écrits, l'acuité des analyses, sont tout à fait stupéfiants. On s'aperçoit ensuite que Le cahier gris n'a été publié par Pla qu'au delà de ses 60 ans, après avoir été réécrit de nombreuses fois. Intrigué, le lecteur va chercher un peu de documentation, et apprendre par exemple que l'université de Barcelone a fermé à cause de la grippe espagnole en octobre 1918 et non le 8 mars comme le dit le premier article daté du livre, et que Pla a été envoyé comme journaliste à Paris en avril 1920 et non en novembre 1918 comme il le prétend à la fin. Soit, réécritures multiples, fausses datations, l'auteur ne doit pas se priver d'introduire la fiction dans le réel, et cet article le confirme au delà de cette oeuvre, Josep Pla est très difficile à cerner.
Cette "duplicité"se retrouve aussi dans ce journal, dans l'ironie subtilement distillée au fil des pages, la fausse modestie souvent palpable surtout quand il est question de littérature, les jugements de personnes parfois au départ très flatteurs pour finir assassins, ou le contraire… Mais l'écriture est souvent belle et simple, toujours proche du concret, cherchant l'émotion, la côte catalane espagnole vue par ses yeux donne envie de la visiter en suivant ses parcours favoris, le livre à la main, itinéraire que propose d'ailleurs ce site: la route Josep Pla . Certaines scènes de vie m'ont fait penser à des nouvelles de Maupassant. On réalise que malgré la proximité géographique avec la France, l'Espagne n'est vraiment pas concernée par le drame de la guerre mondiale (où elle n'est pas impliquée, certes), et que sa guerre à elle est bien l'épidémie presque aussi meurtrière de grippe. Les chahuts universitaires de l'époque n'avaient rien à envier aux nôtres, les étudiants d'alors refaisaient aussi le monde dans les cafés alors enfumés, les maisons closes étaient un exutoire plus banal et courant à la libido d'une jeunesse cadenassée par la religion.
Un lecteur plus au fait de l'Histoire catalane du début du XXè appréciera sans doute plus que je ne l'ai fait les portraits (pour moi un peu artificiels, peu visuels) de personnages en vue dans le Barcelone des cercles d'intellectuels et les enjeux d'alors entre les noucentistes de Pompeu Fabra et Eugenio d'Ors . et les courants adverses.
Des études d'avocat, pour finir par être journaliste, Josep Pla n'est encore une fois pas là où on pourrait l'attendre. Il est à chercher quelque part dans les 30 000 pages qui constitueraient son oeuvre complète !
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