Lac de Pradeilles (Pyrénées Orientales)

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Ce blog comme une promenade entre amis… On pourra donc lire ou écrire, admirer la nature, ramasser des cèpes ou des morilles , pêcher à la mouche, jouer au poker, parler médecine, littérature, actualité,ou même de tout et de rien comme le font des amis en fin d'une belle journée de randonnée...

samedi 10 avril 2010

La tueuse

Un film sur le poker, vu Vendredi 9 avril sur Arte. Le synopsis, d'après Manuel Bevand, connu comme joueur de poker professionnel sous le nom de ManuB:
      

Mathilde est trentenaire, sans emploi malgré son diplôme d’infirmière. Elle découvre le poker au moment où elle tombe enceinte. Son surnom, « La Tueuse », elle le doit à quelques premiers succès écrasants dans un cercle de jeu, qui lui rendent temporairement service sur le plan financier. Mais voilà… Mathilde devient accro, et sa vie  bascule. Un film sur l’exaltation du jeu, menant à l’addiction : on y découvre l'ambiguité du Texas Hold’em, machine à rêves, sécréteur d’adrénaline, drogue dure.
         Le film est encore visible sur le site d'Arte jusqu'au 16 ou 17 avril


          On n'échappe pas au ressort dramatique j'allais dire "obligatoire" quand on parle poker, à savoir l'addiction…


          L'addiction pouvant se définir comme une passion ou un besoin devenant exclusif au point de bouleverser l'équilibre du sujet "atteint", dans sa vie personnelle, familiale et sociale. La frontière entre passion et addiction est parfois floue. Un amateur de rallyes, qui met toutes ses économies dans des automobiles qu'il casse à chaque course est-il passionné ou accro ? Un joueur amateur de foot, de rugby, qui pendant 10 ans passe tous ses dimanches sur un terrain et s'entraine 3 fois dans la semaine ? Un nageur de haut niveau (cf Laure Manaudou, précédent billet) dont l'adolescence consiste à faire 8h par jour des longueurs de bassin toute l'année ? Un médecin ou un chef d'entreprise, qui commence toutes ses journées de travail à 7h pour les finir à 22h sans savoir rentrer chez lui ?
            Sans passion, comment s'améliorer, quel que soit le domaine d'activité ? Et qui dit passion, dit volume important de temps consacré à l'activité en question. Déjà le problème pointe: où est la limite ?
Elle peut être tracée par l'individu lui même, c'est son sentiment personnel de satiété. Elle peut être signalée par l'entourage (on ne te reconnait plus, on ne te voit jamais).
           La passion est vécue comme positive, elle pousse le sujet, le motive, le sublime; le besoin, le manque, comme négatif, sans la satisfaction du besoin, une sensation de vide, d'inexistence, prend toute la place. On comprend qu'une drogue puisse apporter du plaisir, mais personne ne parlera de passion pour la drogue, celui qui s'y adonne est juste malheureux sans sa "dose". On dira de l'écrivain qui éloigne tout le monde pour rester concentré sur l'écriture d'un livre qu'il est "tout à son oeuvre", non qu'il est en manque. On lui accordera beaucoup plus de latitude avant de décider qu'il a outrepassé les limites.

          Où se situe l'ambiguité du poker ? Peut-être tout d'abord dans le fait qu'il nécessite qu'on se passionne pour lui, passion sans lequel le joueur ne peut espérer progresser, mais que cette passion est un engrenage, puisque qu'on soit gagnant ou perdant sur le long terme, on n'est jamais "toujours" gagnant ni jamais "toujours" perdant. Il suffit d'entendre comment les "vrais" joueurs de poker traitent les joueurs dits récréatifs de "fishs" qui veulent "voir des cartes" et donc entrent dans des coups en ne prenant pas en compte les impératifs techniques du jeu, compensant parfois leurs lacunes par une chance insolente. Et pour jouer à un niveau correct, il faut apprendre beaucoup de technique, donc jouer énormément de mains, analyser des tonnes de situations de jeu, donc être vraiment passionné. A noter que cet aspect n'est pas montré dans le film, Mathilde semble comprendre le poker presque de façon innée, elle semble découvrir ce jeu au début de l'histoire, et jouer d'emblée à un excellent niveau… Mais donc la réussite à ce jeu peut apporter l'argent (parfois beaucoup) et même la gloire, moteurs puissants s'il en est, et le fait que le hasard intervienne apporte la "variance", ce qui signifie que cet argent ou cette gloire sont particulièrement fragiles et que, plus souvent que dans d'autres activités qui utilisent les mêmes moteurs, tout peut toujours changer du jour au lendemain…
           Et le joueur de poker joue pour gagner, mais quand il perd il se persuade qu'ayant déjà gagné il va sans aucun doute se refaire…
           Quand le joueur gagne, évidemment cela flatte son ego, et son compte bancaire… et rend indulgent son entourage. Quand il perd d'emblée, puis n'arrive pas à gagner, il se fait sans doute facilement une raison. Mais s'il gagne au début, et qu'ensuite la courbe s'inverse…
          Nombre de jeunes gens ont provoqué des réactions très négatives de leur entourage en investissant tout leur temps dans un jeu de cartes, mais les critiques en général s'effacent et disparaissent quand ils commencent à gagner des sommes conséquentes… Le poker est un jeu d'argent, ce qui nourrit encore son ambiguité, et c'est un jeu égoïste; on y gagne de l'argent, qu'il faut prendre aux autres… Seuls les sites de poker et les casinos gagnent à tous les coups, prélevant leurs commissions sur les gagnants comme sur les perdants…
          Sans peur de perdre sa mise (autant qu'espoir de la multiplier) , pas de "vrai" poker…Certains s'enrichissent dans le sport, dans le travail, mais l'argent gagné dans ce domaine est d'allure plus honnête, car contractuel, en contrepartie le travail apporte à la communauté, le sport offre du spectacle en échange. Le "spectacle" proposé par des joueurs de cartes autour d'une table tente bien d'être mis en scène par les televisions privées des entreprises de jeu et par quelques chaines comme Canal +, mais même les reporters assidus dans le genre de Benjamin Gallen (Benjo, voir son blog http://benjodimeo.blogspot.com/) se lassent d'attendre en permanence qu'enfin AK affronte AQ dans une confrontation à tapis, les deux adversaires debout et pétrifiés le temps que le croupier dévoile le verdict avec une lenteur calculée…

            N'empêche, de "glandeurs" addicts au poker, les jeunes gagnants sont alors promus au rang de passionnés dignes de respect… au point qu'on accepte même alors qu'ils envisagent de faire de ce jeu de cartes une profession…Soit l'entourage est influencé par l'espérance de gains importants (ce qui est tout à fait possible), soit il a compris que la réussite au poker exige d'énormes qualités et que, donc, ce jeune homme qui délaisse son bac pour passer ses nuits à manipuler 14 cartes dans  4 couleurs doit bien les possèder… On lui donne alors du temps, pendant lequel il devra "faire ses preuves", c'est en quelque sorte son premier sponsoring…
             Il serait intéressant de connaitre les statistiques concernant les joueurs qui ont tenté de devenir pro, et ceux qui effectivement persistent dans ce choix. Je n'ai aucune idée des chiffres mais comme dans tous les domaines il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus… J'imagine ces derniers comme disposant d'une force mentale hors du commun, et je ne les imagine certainement pas addicts…Eh! bien un billet récent de Davidi Kitaï, joueur pro belge membre du team Winamax, m'a fait froid dans le dos,  billet où il confesse qu'il avait passé l'année 2007 à jouer online 12h/jour 7j/7. Il dit avoir "récemment pris conscience" de la nécessité d'équilibrer son monde…


            Shaun Deeb, jeune prodige américain avec des millions de dollars de gains, aurait également déclaré vouloir stopper le poker en réalisant l'absurdité d'une vie de "no life", une vie sans vie, donc, l'addiction dans toute sa splendeur...

  http://fr.pokernewsheadlines.com/2009/11/25/poker-online-shaun-deeb-arrete-les-tournois/

               L'addiction peut donc aussi toucher les internationaux, les vainqueurs du poker, pas seulement entrainer les faibles dans une spirale de défaites…
               Mathilde est une tueuse au poker, ce qui ne l'empêche pas d'avoir de lourdes pertes, mais pas seulement d'argent, elle y perd un amour, un travail, et le destin de son enfant à la fin du film est tout sauf clair…

              Nous sommes dans une société difficile, où les rêves de gloire et de fortune sont d'autant plus illuminés et attractifs que le travail est plus difficile à trouver et plus mal récompensé. Voir quelqu'un gagner en jouant 8h ce que vous gagnerez en travaillant un an n'est-il pas le parfait miroir aux alouettes ?
Comment résister à l'appel de cette sirène quand on remplit en pure perte des demandes d'emploi quotidiennes ? d'autant que savoir qu'un A(as) est plus fort qu'un K(roi) lui même supérieur à un J(valet) peut sembler suffisant, quand un champion du monde possède 2J et vous 2K, tout champion du monde qu'il est il a 1 petite chance sur 5 de vous battre, alors, hein, qui c'est le plus fort (copyright Gad el maleh) ?
              Le poker est ambigü, Janus insolent, Dr Jekill et Mr Hyde, il vous fait perdre 50 coups par jour, et en gagner 40, ou 60, et ceci que vous ayez du talent ou pas, vous pouvez gagner avec une "poubelle", ou voir vos 2 beaux AA exploser en vol… La différence se fait sur le "long terme", ça veut dire jouer encore et encore, si vous voulez vérifier ce fameux long terme, je vous souhaite…bonne chance, car vous pouvez gagner 100 parties en jouant comme une quiche et en vous croyant le meilleur, perdre 300 fois en ayant joué vos mains de la meilleure façon possible… Comment faire pour ne pas insister, persister, s'enferrer, se laisser emporter ?
             Le poker est aussi un jeu magnifique, qui fait appel à beaucoup de qualités indispensables dans la "vraie" vie, de la patience au courage en passant par l'endurance, la maitrise de soi et la finesse psychologique. C'est un jeu d'intelligence et de réflexion, où la peur a son mot à dire, le défi aussi, l'humilité, un jeu qui punit ou parfois … récompense selon son humeur l'orgueil ou l'inconscience. Le hasard est son condiment cruel, sans lequel comme est dit dans le film, "autant jouer au bridge"…
             C'est un jeu qui personnellement me passionne, mais, privilège de mon âge sans doute qui n'est plus celui d'un étudiant, ne me mènera pas à l'addiction, car il restera toujours un jeu, même s'il occupe ponctuellement des fractions de mes journées, puisqu'encore une fois comme l'a dit le célèbre Doyle Brunson, il faut "quelques heures pour l'apprendre et toute une vie pour le dominer"… Se passionner sans être addict, c'est avoir du goût pour apprendre, comprendre, mais savoir se fixer des limites, ou bien se contenter de les repérer.  Je cherche lorsqu'un jeu m'intéresse la clé de mes limites, ainsi j'étais à une époque passionné d'échecs jusqu'à découvrir que vouloir franchir le cap que j'avais atteint m'obligeait à connaitre par coeur toutes les ouvertures, ce qui m'a fait renoncer, j'estimais le prix à payer trop lourd.
              Ce que j'ai compris du poker ne fait pas de moi un grand ni même un bon joueur, repartir avec 100$ quand j'en ai investi 10 est gratifiant, contrairement aux loteries on a l'impression d'être responsable au moins en partie de ce bon résultat, mais j'ai compris aussi là encore que pour dépasser mon petit niveau, il me faudrait jouer toujours plus, car le niveau augmente régulièrement, l'espérance de gain s'amenuisant d'autant. La variance éponge les petits gains, vous gagnez 30, vous perdez 20, regagnez 30, et perdez 2 fois 20, le tonneau des Danaïdes, quoi… Quand votre seau est percé, comment faire autrement que multiplier les aller-retour à la fontaine ? Je reconnais esquiver la  peur de perdre,  je ne serai jamais un vrai joueur de poker, car je n'ai jamais mis un centime dans ce jeu, et perdre la totalité de mes petites"bankrolls"certes gagnées avec effort en grapillant au début les miettes tombées des "freerolls" (parties gratuites qui permettent aux joueurs de gagner de petites sommes, le "produit d'appel" des casinos sur la toile), n'entamera jamais le premier sou de mon patrimoine.
              Jouer au poker peut être une excellente école… mais pour la majeure partie d'entre nous, n'oublions pas qu'il ne faut qu'y jouer…

3 commentaires:

  1. j'ai regardé avec plaisir "la tueuse" je ne suis pas une joueuse de poker, mais
    j'avais envie d'en connaitre un peu plus sur cet univers un "peu fermé" et puis le sujet relatif à l'addiction m'interessait
    je viens de lire avec interet ce que vous avez écrit sur le phénomène de l'addiction et surtout quand l'argent rentre en ligne de compte

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  2. Tout à fait Thierry… Euh! Yoan ! Je laisse la coquille pour donner sens au commentaire ;-))

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