Accès hypomaniaque en plein supermarché… |
Deux mois, déjà que je ne joue plus au docteur… Certes le premier mois, pas grand chose n'avait changé, j'accompagnais celle qui avait accepté de me succéder, pour lui présenter des patients, leurs pathologies, et faire le co-pilote sur les circuits informatiques… Ensuite quelques jours auprès de ma mère âgée encore plus têtue que vieille, dictateur de son petit monde solitaire et immuable à des centaines de kilomètres du mien, aussi décidée que Bachar el-Assad à ne pas quitter la place… Enfin, les obligations administratives suite à une cessation d'activité ont réussi 2 bonnes semaines à me confiner dans des occupations fiscales et comptables propices à vous boucher l'horizon…
Donc j'ouvre à peine un oeil sur mon nouvel environnement et la petite chanson qui l'accompagne: "puisque maintenant tu as le temps"… Et du coup je me trouve dans l'obligation de ne plus ignorer nombre de détails qui guettaient dans l'ombre… Les objets peuvent être tyranniques, chacun le sait, et leur opportunisme est redoutable:
- Ainsi ma fidèle cafetière va réclamer dans un nuage inattendu de fumerolles un détartrage urgent puis va en profiter pour démissionner lâchement… comme j'ai "le temps", je vais donc tenter de la démonter, et bien sûr irrémédiablement la bousiller…
- Ainsi ma porte basculante de garage depuis des années aussi consciencieuse qu'une horloge suisse va pour une raison inconnue rendre l'âme en une détonation unique laissant son mécanisme pendouiller comme un vulgaire hauban de voilier sur un océan déchainé… "Ma" réparation va tenir 48h, et un 2è claquement métallique sinistre va m'obliger à faire appel à un copain semi-pro pour faire mieux… une demi journée d'efforts à deux, effectivement il a l'air d'avoir réussi, mais tous mes sens restent aux aguêts quand je sors ma voiture…
Le bricolage, activité phare du retraité, demande des aptitudes que le temps disponible ne vous dispense pas de posséder… Hélas, ce n'est pas mon truc, et ce jugement est définitif…
C'est pas tout ça, mais frigo et congélateur se vident, "puisque j'ai le temps de cuisiner", et demandent à se remplir "puisque j'ai le temps d'aller faire les courses", soit, je m'exécute (mais non il ne s'agit pas d'un suicide…) avec l'aide de Mr Picard (le surgelé) quand l'ombre de ma mère et ma grand mère, dont toute la vie se structurait autour des repas, occupe trop d'espace… N'empêche, faut se coltiner Intermarché, qui a eu la bonne idée de multiplier sa surface par 3 et de changer tous ses rayons… Tant qu'à faire, je flâne, et repère nombre de produits devenus subitement séducteurs et pourtant absolument sans intérêt… L'endroit étant très proche de mon ancien territoire, je rencontre pas mal d'anciens patients, amusés de me trouver sans caducée protecteur dans un lieu de débauche pour consommateurs… Avant lorsque cela se produisait je faisais remarquer avec espièglerie "qu'un généraliste doit savoir tout faire", maintenant je glisse traitreusement que je profite de mon temps libre pour "faire plaisir à ma femme", comme si j'avais attendu la retraite pour faire les courses… Seulement maintenant au lieu de foncer avec des oeillères et une liste stricte des denrées nécessaires je reste 2 heures en dérive flottante entre les rayons, à des heures impensables pour un médecin en exercice, par exemple entre 9 et 11… Donc les rencontres sont bien plus fréquentes, souvent des couples rompus à l'exercice, qui ont tendance à insister sur cette liberté nouvelle qui doit selon eux me ravir en l'état, pensez, un petit déjeuner sans contrainte horaire et un choix serein dans ce magasin, "devenu magnifique, vous ne trouvez pas ?"…
Donc résumons nous, lever 1/2h à 1h plus tardif, tentatives de bricolage aussi maladroites qu'avant, courses et préparation des repas avec un soin un peu supérieur à l'antériorité pour un résultat équivalent, car ma chérie fait partie des rares personnes qui ne "mangent" pas mais "s'alimentent", celles capables d'engloutir ce qu'on leur propose, brouet obscur ou plat de roi, avec un égal appétit, quoi d'autre, ah oui, promener la chienne, depuis des jours elle tourne en rond, et puis il faut marcher, faire de l'exercice est indispensable aux chiens en bonne santé et aux retraités actifs… Ça prend encore une bonne heure, peu agréable avec ce vent, un peu tendue parfois car la demoiselle est peureuse, et quand elle a peur, ben elle attaque les autres chiens, embrouille en vue avec les vieux retraités expérimentés, plus entrainés aux conflits insignifiants qui aident à passer le temps…
Le temps, que j'ai maintenant (rappel) , donc, passe, et je me demande comment j'assumais à peu près la même chose avant, en plus de mon travail…mais je découvre aussi que le quai de la gare qui m'a vu descendre du train (cf parcours de santé) risque d'être plus long que prévu, on est déjà début Décembre…Mauvaise pioche, avec cette maudite tramontane et les premiers froids, les champignons ne trouvent plus d'urgence à se développer, les dorades ont depuis longtemps quitté les étangs pour la pleine mer, la pêche à la truite est fermée, autant de sorties nature en moins, d'autre part ma compagne aussi bien que mes potes, eux, travaillent encore pour la plupart, les malheureux, ce qui limite singulièrement la possibilité de voyages en couple aussi bien qu'en groupe… Restent heureusement la lecture (je me retape en ce moment tout Hemingway en papier bible dans la Pleiade, cadeau touchant d'un de mes patients), les jeux d'écriture ainsi ce petit billet comme un modeste entrainement, le Mac et ses multiples possibles, depuis les journaux, la musique, les videos, jusqu'à la photo, la correspondance par mails ou le jeu de poker… Bizarrement, ce dernier, responsable auparavant de quelques couchers tardifs en exutoire sans doute à trop de tension nerveuse dans mes journées, devient presque fade alors même que durant mes premiers jours de liberté il m'a procuré un premier gain à 4 chiffres, sans stimuler pour autant un désir d'insister, avec "tout ce temps que j'ai maintenant"…Les enfants sont ravis car, promesse intangible, mes gains de poker sont pour eux, wow, disent-ils les yeux brillants, rien qu'une fois par mois ce serait super, "maintenant que…" Maintenant que quoi ? Ah, oui…Bref, je sens quant à moi en quelque sorte l'absence de repères autres qu'à portée de main… où est mon GPS ?
Normal m'a dit mon ami François, c'est pareil pour tout le monde au début… Ok, pas de souci… Après avoir appris à travailler, il faut apprendre à ne plus travailler, c'est vrai même si ça surprend… Evitons le piège sournois de la culpabilité qui pourrait nous habiller en coursier-cuisinier-bricoleur-baby sitter au prétexte qu'on n'a aux yeux des autres "rien de mieux à faire"… Un travail reconnu et officiel présente on l'oublie un bénéfice secondaire, celui de vous dispenser de nombreuses contraintes subalternes qui n'oublient pas de surgir au premier rang quand le sacro-saint travail s'efface… Le joyeux désordre de mon bureau est plus difficile à justifier en l'absence d'impératifs professionnels, hélas la perspective de le ranger enfin de fond en comble n'est pas plus excitante qu'avant…
J'avoue avoir dans mon enfance passé bien plus de temps dans ma chambre que ne l'exigeaient mes devoirs scolaires, juste pour qu'on m'y fiche une paix royale… De cette époque date sans doute mon goût pour les activités solitaires que sont la lecture et l'écriture… Mais je suis à l'âge où la sédentarité présente des dangers, et où ces activités pour être prises en compte et respectées doivent s'intégrer dans un projet … Ecrire un livre serait une option parfaitement défendable, griffonner des billets sur un blog, hum… n'est qu'un loisir qui "n'apporte rien", en tout cas pas une défense suffisante contre les sollicitations courantes… Pas si évident de "glander"égoïstement quand on n'a pas eu d'aptitude à être cancre… Si Daniel Pennac m'inquiète- "Pour la retraite, la plume est moins utile que la tondeuse à gazon " (La fée carabine)- Goethe est un peu plus encourageant " Le talent se développe dans la retraite"ose-t-il, même s'il ajoute "et le caractère se forge dans le tumulte du monde "…
Je viens de rater le Moscato"one man chaud" en m'y prenant trop tard (une ex-brute redoutée du rugby devenue acteur de théâtre et pris au sérieux dans ce rôle devait valoir le déplacement…) Vais je réussir tout de même à voir cette expo photos de A.Kertész (hongrois pour moi inconnu mais que Cartier Bresson considérait comme son maitre) à Bram, 120 petits kms d'ici, avant la fin du mois, ouverture du mercredi au samedi, projet remis à plus tard depuis 3 semaines, même en travaillant, allez, tu pourras venir avec moi, disais-je à ma femme, puisqu'il suffit d'une demi- journée, oui oui aucun problème mais mercredi j'ai ceci, jeudi faut que je, et vendredi pour un peu j'oubliais… Tyrannie encore des tâches annexes, le dentiste, le garagiste, le rendez vous avec x ou y, c'est pas grave on reporte, moi de toute façon "maintenant j'ai bien le temps"…
Il faut que je me méfie réellement pour l'expo, Noël approche, cette année pas d'excuses, pas question d'attendre le dernier jour, hein, tiens faudra que je pense au caddie si on me demande de suggérer une idée de cadeau … Commerce florissant, la vente de caddies, même en ces temps de crise il reste l'équipement de base de la ménagère, ce caddie, oui, aussi indispensable à celle ci que le maillot moulant sponsorisé peut l'être au cyclo touriste estival… Incroyable cette variété de caddies, en dimensions, qualités et couleurs de tissus, diamètres de roues, types de poignées, faudrait que je me renseigne en détail, puisque j'ai tout mon temps, doit bien exister un modèle intégrant un GPS…
La Rolls du caddie, sans doute… |
ton analyse sur la retraite est pour moi toujours aussi savoureuse après huit ans de sa pratique. Et, bof,la vitesse de mon adaptation me semble inversement proportionnelle à celle des jours
RépondreSupprimer@ Anonymous: merci pour le commentaire, j'apprécie car les réaactions deviennent aussi rares que les truffes ! ;-)
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