Lac de Pradeilles (Pyrénées Orientales)

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Ce blog comme une promenade entre amis… On pourra donc lire ou écrire, admirer la nature, ramasser des cèpes ou des morilles , pêcher à la mouche, jouer au poker, parler médecine, littérature, actualité,ou même de tout et de rien comme le font des amis en fin d'une belle journée de randonnée...

dimanche 23 décembre 2012

Corrida




               La lecture récente de "Mort dans l'après midi" de Hemingway m'a conduit à essayer de clarifier les sentiments qui m'habitent à propos de la corrida, emblème de l'Espagne si proche…
              Cette manifestation qui ne m'a jamais intéressé en tant que spectacle m'intrigue en revanche beaucoup comme sujet de réflexion…
              J'aimerais réussir à dépasser l'opposition aussi irréductible que basique entre les anti-corridas qui n'y voient que pratique barbare et cruauté envers les" toros", assimilant en gros les corridas aux jeux du cirque de l'époque romaine, et les aficionados subjugués par l'élégance des matadors qui dansent un ballet pour eux magique où la mort guette à chaque geste…


Pénalité ! Il a plongé !... Comment ça c'est pas du rugby ?



                 

             Hemingway dans ce livre réalise une étude extrêmement fouillée du monde de la tauromachie (écrite quand il avait entre 25 et 30 ans !)  qui représente encore de nos jours une initiation à la corrida jugée pertinente par les spécialistes…

            Qu'Hemingway se soit à ce point passionné pour la corrida n'est pas très surprenant: engagé volontaire et sérieusement blessé dès la 1è guerre mondiale, journaliste de guerre aux côtés des républicains pendant la guerre d'Espagne, puis pendant la 2è guerre mondiale, essayant même d'en être un combattant, demi espion dans sa période cubaine, boxeur, chasseur de fauves, pêcheur au gros, réchappant de 2 accidents d'avion, et finissant par se suicider on conçoit aisément qu'il pût être "obsédé" par la mort… La cotoyer de près et si souvent était-il une façon de sublimer la peur qu'il en avait, comme une peur du vide  attire en même temps qu'elle terrorise, jusqu'au vertige qui finit par convaincre de justement se jeter dans ce vide ?… Je ne vais pas tenter ici une maladroite analyse psychologique du célèbre écrivain, juste pointer le premier mot qui vient à l'esprit en entendant "corrida", et qui pour moi est MORT

           De tout temps l'homme a trouvé de nombreuses motivations pour affronter la mort… Mais il me semble qu'une chose est de ne pas la craindre, d'en affronter le risque avec courage, une autre est de se rebeller contre elle au point de vouloir la dominer… Et le torero ne se contente pas de paraitre indifférent devant la mort, il doit dominer son toro, vecteur de sa mort… Il est volontaire pour ça…

           Cela ne suffit pourtant pas,  il doit le faire avec toutes les règles qui gardent son honneur intact… Hemingway se veut puriste, il n'aime ni certains toreros selon lui plus ou moins couards, ni les tricheurs, ni les maladroits, ni même les inélégants… Il excuse à peine ces mêmes défauts chez le toro, et n'admet pas en tout cas l'intervention humaine qui pourrait diminuer en amont les capacités de la bête à représenter un danger mortel… Ce n'est que pour ces raisons qu'il ne supporte pas l'affaiblissement par les éleveurs de l'agressivité de la race, qu'il méprise les blessures mal placées ou trop importantes faites par les picadors puis les banderilleros, ou les estocades ratées… Hemingway n'est certainement pas sensible à la souffrance de l'animal, qui est la base actuelle des protestations des adversaires de la corrida… Ses préoccupations sont d'ordre esthétique et d'orthodoxie… Qui veut combattre le toro et à travers lui la mort doit le faire honorablement, sans faux semblant, et avoir vraiment en face de lui une mort disposant de tous ses moyens… On remarquera que pourtant de ce point de vue les dés sont déjà pipés…

         Ainsi tous puristes qu'ils soient les aficionados admettent tout de même d'emblée:

- que le toro soit tué systematiquement à la fin du combat: en effet un toro ayant déjà combattu l'homme garde en mémoire le souvenir de l'affrontement, et le risque est grand qu'à la seconde rencontre il charge l'homme sans plus se faire leurrer par le bout d'étoffe de la muleta…L'aficionado dira que de toute façon l'animal doit finir sur un étal, et que contrairement à ses congénères moins nobles, il aura bénéficié de 4 années de vie "idéale" en liberté sur d'immenses paturages…

- que le picador pendant le premier tercio à la fois teste pour le compte du matador la bravoure du toro en notant s'il retourne ou non volontiers "à la pique", et provoque par ses blessures un affaiblissement musculaire de l'encolure de la bête limitant sa capacité à relever haut sa tête et donc les cornes meurtrières…L'amateur de corridas se fera biologiste pour évoquer la sécrétion d'endorphines anti douleur, et vous fera remarquer que la bête la plupart du temps "y revient"…

- que les banderilles du second tercio poursuivent ce travail de sape des forces musculaires du monstre en lui faisant perdre son sang… et sans doute, comme les piques, en le faisant souffrir, quoi qu'en dise notre aficionado…

           Il existe à mon sens une certaine malhonnêteté à exiger un combat exempt de trucages tout en établissant dans les fondamentaux de ce combat des trucages "en règle"…

           Alors, me diront les défenseurs de la corrida, préfèreriez vous voir plus de cornadas (coups de corne), plus de morts d'homme, au prétexte de ne pas voir souffrir le toro ?

           Bien sûr que non, et je suis déjà passablement surpris que les anti-corridas se focalisent sur la cruauté vis à vis de l'animal, et non sur le terrible danger  que court le torero… Certains même souhaitent ouvertement que le lapin tue le chasseur…

           Ah! mais m'objectera-t-on, le torero risque sa vie volontairement, lui, le toro ne demande qu'à paitre dans l'herbe grasse comme l'animal sauvage et libre qu'il devrait être…

        
            Toutes les activités où l'homme risque sa vie ou de graves blessures le voient essayer d'augmenter sa securité :

- Les militaires rivalisent d'ingéniosité pour une meilleure protection des soldats; mais comme ils rivalisent aussi d'ingéniosité pour augmenter la puissance destructrice des armes, l'exemple est plutôt mal choisi

- Parlons sports dangereux alors:
            - les alpinistes n'oublient plus l'oxygène pour grimper sur l'Everest, ont un matériel en amélioration constante
           - les coureurs de Formule 1 ont bridé leur vitesse et finissent leurs sorties de route dans de larges espaces tapissés de paille, idem pour les motards
           - les boxeurs ont habillé leurs poings de gants rembourrés
           - les cyclistes ou les rugbymen ont des casques, tous les sports collectifs empêchent le "tout est permis" 
           - les navigateurs regorgent de moyens techniques, les escaladeurs pitonnent et s'encordent…
        ... etc…

- Dans la vie courante même chose, un code de la route protège le piéton et l'automobiliste, des innovations protègent les conducteurs ou les passagers, des vaccins toute la population…

         Et l'éventuel danger mortel s'éloigne d'autant…

          C'est bien pour une meilleure securité de l'homme, alors, que les deux premiers tercios existent, pas par sadisme gratuit… L'admettre est facile, n'empêche, cette prétendue quête d'absolu, cet affrontement ultime de l'homme en apparât et de la bête dans son animalité brute relève tout de même d'une mise en scène plutôt hypocrite dont l'adversaire animal pâtit grandement… Tout est question de dosage, il faut affaiblir mais pas trop, faire saigner, mais pas trop, poignarder, mais pas n'importe où… 

        Le programme n'est guère alléchant…

          Pour l'aficionado, le toro n'existe que pour combattre, il est l'incarnation de la violence à l'état pur, il est né pour charger ce qui est dans son champ de vision, il est né pour tuer, et être tué selon le rite de la corrida, qui devient rituel de sacrifice… D'ailleurs, l'aficionado soutient que sans la corrida, le gène du taureau de combat aurait disparu depuis longtemps, personne n'élèverait des fauves quand il est simple d'élever des boeufs pacifiques pour l'abattoir… Il n'hésite pas à prendre à son compte les aspirations écologiques au maintien des espèces animales existantes, ajoutant que nombre d'espaces verts sont préservés par l'élevage des toros qui ne peut être qu'extensif… On retrouve l'argument des chasseurs pour lesquels sans la chasse il n'y aurait plus de perdrix, lièvres ou faisans depuis des lustres… Ce qui n'est pas entièrement faux, mais reste une justification paradoxale…

           Les origines de la corrida ne sont pas claires du tout…Moyen Age ? Les historiens se contentent de nier que les racines en soient romaines, ou méditerranéennes, nient l'ascendance du mythe du Minotaure, évacuant par ce fait la dimension "sacrée" que ses défenseurs lui octroient volontiers…
        Plus prosaïquement, on peut imaginer qu'elle a pris naissance en Espagne du fait de la tradition d'élevage bovin dans ce pays, et qu'elle se soit plus tard naturellement exportée en Amérique du Sud sous l'influence espagnole dans les immenses haciendas du continent sud-américain… En sélectionnant des individus de plus en plus rustiques, aptes à résister aux conditions climatiques du pays (chaleur, sécheresse), les éleveurs ont probablement créé des taureaux de plus en plus vigoureux et agressifs, qu'il fallait bien être capables de continuer à encadrer au sein des troupeaux… Les vaqueros ou les gauchos ont dû apprendre à se défendre et défendre leurs chevaux contre les mâles les plus redoutables, devenant alors de fait des picadors avant l'heure… 
       Il semble d'ailleurs que les premiers affrontements organisés en spectacles étaient des combats cavaliers-toros, réservés aux nobles s'entrainant à la guerre, puisqu'il fallait pouvoir posséder sans doute plusieurs chevaux, souvent victimes de cornadas mortelles… Les peons n'avaient pas les moyens de posséder des montures… J'imagine que faire entrer ces taureaux violents dans un corral, ou les détourner des chevaux qu'ils prenaient pour cible, ou les conduire à l'abattoir devaient contraindre à employer toutes sortes de ruses et de leurres, ancêtres des passes et des capes des toreros… Des attroupements devaient se former facilement pour contempler ces scènes, où certains vachers se montraient sans doute plus habiles et courageux que d'autres… Ensuite, le bouche à oreille, le vedettariat local, les paris, les conditions étaient alors réunies pour faire de ces "jeux"de petites ferias…

            La mise à mort (estocade) serait au départ logiquement le fait des employés des abattoirs, puisqu'on n'élevait pas des bovins pour en faire des animaux de compagnie, mais pour la boucherie… Ces ouvriers mal payés devaient tenter d'arrondir leur salaire misérable, au péril de leur vie, avec des estocades théâtralisées pour  la vue desquelles des spectateurs acceptaient de verser une obole… Il est reconnu que la plupart des matadors étaient d'origine modeste, la faim et la pauvreté ayant toujours constitué l'aiguillon des trompe-la-mort… Ensuite on peut constater que se sont formées des lignées de toreros, car pour boire le poison de la corrida sans doute faut-il être tombé dans la marmite de potion taurine dès la jeune enfance…

             Je ne saurais expliquer pourquoi les défis et compétitions entre vachers ont plutôt pris en Amérique du Nord la forme du rodeo… Les rodeos semblent d'apparition bien plus récente (fin du XIXè-début du XXè) . Il s'agit ici d'un combat où la mort n'a pas la présence écrasante qu'elle possède dans la corrida… Rester 10 secondes sur le dos d'un taureau d'une tonne (contre 400 à 600 kilos pour un toro) là aussi sélectionné par les éleveurs pour son intolérance à toute domestication humaine est loin d'être dénué de risques, mais on sent bien que la vie du dresseur n'est pas obligatoirement en jeu, et la vie du taureau ne s'achève pas avec le combat… On pourrait avancer que les troupeaux de bovins et de chevaux sauvages nombreux dans les grands espaces américains avaient besoin d'être matés et exigeaient des dresseurs pour les rendre dociles et exploitables, mais qu'ils pouvaient être dominés sans être tués… Est ce une explication ? Les taureaux de rodeo sont des taureaux Brahma, masses énormes de muscles, mais dont je n'ai pas entendu dire qu'ils pouvaient charger un lion ou un éléphant, comme les toros bravos ont la réputation de pouvoir le faire sans la moindre peur…

            Ce serait donc son agressivité et sa bravoure extrêmes qui condamneraient le toro, puisqu'il ne pourrait y avoir avec lui de combat qu'"à la mort"… 

           Hemingway reconnait que certains toros ont peur, que d'autres sont épuisés avant la fin du 3è tercio, par les blessures, les pertes de sang, les charges à répétition dans le vide, ayant à peine la force de charger une dernière fois le matador cette fois armé de l'épée fatale… D'autre part les rarissimes toros grâciés en fin de corrida le sont bien pour "bravoure exceptionnelle", qui leur offre le droit de retour dans leurs prairies pour une vie douce de géniteur… Je ne me résouds pas à penser que l'Espagnol est fondamentalement plus cruel que l'Anglosaxon et qu'il lui faut obligatoirement le sang la souffrance et la mort de son adversaire, fût-il un animal, pour… pour quoi ? pour se sentir vivant ? Mais cette tradition de la corrida qui semble inextirpable reste particulièrement mystérieuse… Les toreros célèbres sont des demi-dieux dans ce pays… 

               Les "olé" d'une arène subjuguée par une faena cumbre sont impressionnants, presqu'aussi inquiétants qu'un brouhaha de foule en fureur… Le spectateur de corrida ne vient pas regarder un animal souffrir, il ne pense pas que le toro souffre, le toro est pour lui un monstre obtus qui ne crie pas, ne montre aucune douleur, mais gratte le sol de son sabot, baisse le mufle et fonce, l'aficionado ne voit réellement pas le toro souffrir, il voit un tercio de piques, comme un bras de fer, un tercio de banderilles comme un numéro d'acrobatie, une faena comme un ballet entre la mort noire et un ange… On ne peut pas l'accuser de sadisme envers les animaux, il ne VOIT pas plus le toro souffrir  que celui qui mange un steak ne voit le boeuf se faire trainer de force puis executer dans l'abattoir… 

            Hélas, je ne parierais pas l'ensemble de mes biens pour soutenir qu'il n'a aucune envie de voir l'ange se faire attraper, empaler et piétiner  comme une poupée de chiffon… Foule il y avait  pour assister aux pendaisons publiques, à la guillotine, foule il y a encore aux lapidations, aux executions de fin de règne, et dans les corridas…Le torero est une immense vedette, il doit savoir que tout un peuple le porte aux nues, s'incline, l'acclame, mais sera aussi présent s'il chute, car il n'y a pas peut être de jouissance plus forte et plus malsaine que de voir échouer qui a tenté l'impossible… L'homme ordinaire, qui n'a pas eu l'audace de tutoyer le ciel, qui se sait mortel et souffre de ce destin médiocre, ne savoure-t-il pas l'échec de qui se voulait supérieur au point de narguer la mort ?

              C'est en ce sens, pour moi, que la corrida ne devrait plus exister… Pas tant pour des questions de défense des animaux, même si bien sûr des arguments sont légitimes, encore une fois cette logique "30 millions d'amis" nous mènerait à devenir végétariens, sous peine d'hypocrisie… Pas tant pour l'étrange puérilité du spectacle, voir un bovin foncer sur tout ce qui bouge, et en particulier sur un drap coloré, même si les suerte sont d'une infinie complexité que détaille avec un soin inégalé Hemingway sans qu'il soit, même pour le profane, ennuyeux un instant… Vous comprendrez en le lisant tous les codes qui balisent la corrida, sur quels critères une passe de muleta est un geste de génie ou un attrape-nigauds… L'initiation est impérative, comme pour apprécier une performance en patin à glace ou les prises de lutte gréco-romaine… Mais vous comprendrez aussi que dans la corrida l'arbitre est bien toujours la mort…

              Assister à une corrida, c'est assister à un cérémonial, qui se termine soit par un triomphe et un meurtre, soit par deux meurtres… L'homme civilisé ne devrait plus avoir à se mesurer volontairement à une mort qui viendra bien assez tôt… Il devrait apprendre à ne pas placer au dessus de tout un spectacle qui met en jeu des vies dont il prétend ailleurs qu'elles sont le bien le plus précieux… Le philosophe pourra me reprocher de vouloir emasculer l'homme alors que je souhaite seulement ne plus le voir exposer ses cojones en public pour des enjeux ridicules…

           Virilité, orgueil, honneur, la panoplie machiste serait donc l'étendard immuable de l'Espagne ? C'est bien cette même panoplie qui met à feu et à sang une partie du monde, que revendiquent les terroristes arabes, certes dopés à la religion,  en franchissant un degré supplémentaire, sacrifier leur vie pour emporter leurs ennemis dans la mort… Bien d'autres combats sont à mener, de vraie noblesse ceux là, contre la faim, la maladie, la pauvreté, le saccage des ressources de la nature, où les fiers à bras pourront à loisir exprimer leur trop plein d'énergie et d'hormones… Je doute que sans la corrida, les espagnols soient désoeuvrés, déprimés au point de ressentir une perte d'identité insurmontable… Seulement 25% des espagnols se rendraient dans les arènes…Pourtant le boycott préconisé par les anti corridas a peu de chances de réussite, car nombre d'entre eux à l'évocation d'une interdiction se cabrent comme si on arrachait leur passeport… Dans le même ordre d'idée, allez donc dire à certains qu'une femme non voilée peut être une bonne musulmane…

                 La défense de la corrida par les aficionados semblerait un combat passéiste et d'arrière garde si de puissants lobbies d'intérêts financiers ne lui donnaient une force redoutable… La tauromachie "pèserait" 2 milliards de dollars et emploierait plus de 100 000 personnes… Le combat anti corridas, lui, exigera plus que des cojones

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