Lac de Pradeilles (Pyrénées Orientales)

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Ce blog comme une promenade entre amis… On pourra donc lire ou écrire, admirer la nature, ramasser des cèpes ou des morilles , pêcher à la mouche, jouer au poker, parler médecine, littérature, actualité,ou même de tout et de rien comme le font des amis en fin d'une belle journée de randonnée...

dimanche 5 février 2012

Hiver




                      Le grand froid incite à dormir, lire ou écrire près d'un bon feu… Il peut même inciter un béotien de la poésie dans mon genre à tenter un poème, certes en prose… Ma culture poétique est proche de zero, tant je peine avec la langue elliptique des poètes que je trouve si souvent hermétique…Il m'arrive d'apprécier comme une friandise un texte de Prévert ou Guillevic, de Desnos ou Aragon, de Bukowski ou Brautigan, mais en dehors de Prévert je crois n'avoir jamais traversé un recueil complet…
                  Ce modeste exemplaire écrit par un jour glacé comme aujourd'hui a été publié il y a quelques années dans une revue littéraire éphémère (l' Obsédante ). Si vous avez quelques minutes, suffit de mettre au foyer une autre bûche…






LA PLUME ET L'AUBE


                                                            1

 Ce soir les enfants dorment à poings fermés.  Leurs mains sont compactes comme des châtaignes, leurs doigts frémissent comme une portée de chiots.  Ce soir d'hiver, un peu plus froid que la veille, mais pas encore glacial.  Juste une pointe de givre.  Les enfants dorment et respirent régulièrement, d'un souffle calme.  S'il neigeait, sans doute se laisseraient-ils ensevelir.  On ne verrait que leur sourire, peut-être les paillettes de l'air gelé dans leurs narines.  On n'entendrait rien.  Ou alors, dans le crissement d'une plume sur le papier, on devinerait un soupir.

                                     2

Une autre fatigue, celle-là silencieuse, s'évapore de la chair des enfants.  La libère.  C'est pour cela qu'ils respirent tranquillement.  Ils sont vivants.  De petits êtres joyeux et complexes.  Des enfants.  La nuit pour les bercer n'a besoin ni de bruit ni de couleurs.  Et la plume dérisoire crisse sur du papier blanc.  Jusqu'à ce que le jour se lève.  Dérisoire aussi, le jour.  Encore un peu plus froid que la veille, pas tout à fait glacial.  Un nouveau jour, dans la trace de tous les autres.  Un nouveau jour.

3

Le souffle des enfants est paisible.  Serein.  Du garçon comme de la fillette.  Il sort naturellement des bouches entrouvertes, tiédit l'oreiller, et se fond délicatement dans l'air ambiant, qui est une masse d'air froid.  Celle-ci n'atteint pas leurs corps protégés  par un édredon de plumes.  Elle reste à distance, avec l'autorité d'un chien  de garde.  Très loin, enchâssée dans le noir écarlate, cligne encore une  étoile minuscule.
Rien pour trahir cet instant.  Richesse rare.   Pour le défigurer.  On imagine qu'un petit animal pourrait, sans hâte ni crainte, ses délicates moustaches en éveil, sortir de son trou, humer avec curiosité et un brin d'insolence le piquant de cette fin de nuit pâle, de ce froid qui devient aigu.  On imagine: derrière ce silence des vies poursuivent leur ballottement têtu, avec un entêtement de pendules.


4

Il faut du temps pour qu'un fragile museau émerge en tremblotant des galeries obscures.
Tellement de temps pour que les enfants cessent de dormir de cette manière confiante, abandonnée.
Toute une saison enfin pour que la gangue de froid renonce.


5

Peu importe.  Dans ces choses vivantes et blotties circule un sang joyeux, dont le cours aigrelet serpente avec une espièglerie toute enfantine, chuchote et bavarde.
Et ce miracle élémentaire n'a pas besoin de bruit.  N'est pas non plus dérangé par un crissement de plume.


6

La fillette pourtant s'éveille ( et s'en étonne ). Elle frotte ses yeux pleins de sable, cherche un instant à enlever de sa paupière cette étoile qui la veillait, puis l'aperçoit très loin, derrière le froid qu'elle respire.  Derrière le ciel.  Ses jambes et ses bras bougent d'eux-mêmes.  Elle distingue dans un berceau de lueurs mauves son frère dormant gorge ouverte.  Elle se lève, protégée du froid par une chaude haleine qui abandonne le lit pour la suivre.  La porte veut bien céder à l'insistance maladroite qui s'agrippe.  Elle s'ouvre largement sur une bouffée de lumière ocre.  L'enfant éblouie trébuche dans ce soleil restreint, et se précipite en riant.


7

La plume a cessé son crissement infime.  Elle a roulé, lâchée par la main qui la guidait douloureusement.  Elle a roulé sur la table, puis sur le sol en bois, où elle a repris son immobilité d'objet sans importance.  Inerte comme le chat dont les yeux mi-clos ne s'endorment pas tout à fait.  La fillette s'en moque, déjà escaladant, offrant sa lèvre rose au vieillard réticent, lequel détourne une bouche ruinée dont il a peur qu'elle bave, proposant l'obstacle de sa joue gribouillée de barbe.


8


L'enfant pour le punir met son doigt dans la bouche humide.  "Pour attraper ta langue".  L'homme effrayé pour un peu se mettrait en colère, mais sa main repentie caresse la chevelure innocente, tapote ce front plus doux qu'un ventre de poussin.  Dehors, la clarté de l'aube se hisse péniblement, à mesure se dilue la lumière électrique.




9

La petite fille ne s'étonne pas que le jour se lève.  S'installe confortablement, signifiant son intention de rester là, sur les genoux.  Le vieil homme, un peu décontenancé, flatte une jambe douillette d'un geste machinal.



10

Et cette jambe chaude, de la chaleur du sommeil, ranime dans un frisson celui qui jusqu'alors, malgré la fatigue, écrivait.  Qui soupçonne maintenant, à cet instant précis dans un regret fugace, que ce jour creusé par le froid ressemble à son dernier.









3 commentaires:

  1. Bonjour
    Comme ce texte sonne triste... Voilà ce que je pense : nous avons la culture que nous avons... Elle n'est ni au-dessus ni au-dessous d'une autre culture mais elle est, elle existe bien...
    et c'est la notre... singulière avec des points communs avec d'autres et des différences...
    J'aime les mots qui évoquent dès qu'ils sont lachés ou écrits de vastes espaces plus ou moins poétiques, des espaces qui n'existaient pas auparavant, qui ont à eux seuls le pouvoir de réveiller nos sensations qui interpellent nos 5 sens... Les mots sont magiques... Jouer de cette magie devient un art... Les mots nous parlent, à chacun de nous différemment, en fonction de nos expériences, de notre vécu singulier et surtout de notre capacité à rêver et à résonner... C'est ce qui est merveilleux !
    Si je lis une poésie qui m'est hermétique c'est qu'elle ne s'adresse pas à moi !
    A nous de trouver la poésie, là où elle se trouve, une création d'images symboliques qui nous parlent et qui nous emportent dans une rêverie qui nous porte !
    L'espace poétique, un vaste monde où tout devient possible, s'y promener ne fait de mal à personne et fait du bien au promeneur qui peut ainsi nourrir ses rêves, ses projets, s'y ressourcer...
    Bonne rêverie au coin du feu, en ce moment c'est mon passe temps favori...
    Elisabeth Saint-Aubin

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  2. Bonjour

    Je ne parlais pas bien sûr du texte la plume et de l'Aube mais bien du texte qui précédait...
    qui était joint à ce texte quand j'ai écrit le commentaire ?... Je ne l'ai pas vu à ce moment là...
    La ponctuation comme vous l'utilisez dans votre texte me donne un rythme, que je suis volontiers et crée des moments de ruptures inattendus ainsi les scènes décrites, déroulent devant moi avec des pauses qui crée chez moi des silences qui me permettent de me laisser aller à ma rêverie...
    cela crée une atmosphère saccadée intrigante...
    Cela m'a bien plu...
    Je vois avec plaisir que vous avez "bien" véritablement" osé écrire... ouf à u moment j'ai eu peur que cela ne se fasse pas !!!

    E. Saint-Aubin

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  3. @ E. Saint-Aubin: oui comme indiqué, les textes ou nouvelles sont accessibles dans les billets en cliquant sur "lire la suite", que je devrais mettre en plus gros, mais je ne sais pas comment ;-) Merci pour les commentaires

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