Le récit qui porte ce titre raconte un petit voyage en voilier entre l'Espagne et les Baléares, il y a des années ... Une histoire vraie, et non cette fois une "nouvelle" imaginée… Rien que de très banal pour les nombreux amoureux de voile de notre région qui s'offrent en été sur ce trajet quelques émotions de "vraie" navigation en Méditerranée… Je l'ai d'abord écrit "à chaud" au retour pour que les participants en gardent un souvenir… Je l'ai dédié à ma fille Fanny qui avait un an à l'époque, et je lui dédie toujours, bien sûr, mais j'ai décidé de le restaurer pour le proposer sur ce blog, car il contient à peu près tous les ennuis qui guettent les marins débutants, et constitue un avertissement concret aux imprudents qui croient que la Méditerranée est à l'océan ce que la pataugeoire est au grand bassin de la piscine, allant même jusqu'à emmener des enfants …
Je n'ai pour ma part jamais été attiré par le sport voile, mais à l'époque me faire miroiter l'espoir de prendre quelques beaux poissons aurait par contre réussi à m'entraîner sur n'importe quelle coque de noix et presque n'importe quelle mer… J'ai d'ailleurs remis le couvert quelques années plus tard sur le même parcours dans des conditions de vent à peu près équivalentes, mais j'étais quand même cette fois sur le même bateau que mon ami Thierry, marin passionné, lui, et compétent… Cette fois ci nous étions 2 bateaux, Denis,"mon" skipper sur "Les Camélias" ne pouvait se targuer que de 2 ou 3 allers-retours entre Canet et Argeles, Thierry étant, hélas, sur l'autre voilier, "Le Tamara" …
MAJORQUINE (1)
Fanny ma mouette, petite écume, petit pingouin…
Cette histoire est pour toi, tu la liras peut-être, heaucoup plus tard, lorsque tu auras l'âge de te méfier de la mer et du vent. Je la raconte maintenant, parce qu'on oublie vite, et qu'aujourd'hui se construit le souvenir de tes 1 an. .. Car tu avais 1 an depuis deux jours, quand...
Mais avant d'écouter cette histoire, regarde sur une carte postale: la mer comme le ciel sont saturés de bleu, le petit nuage, au fond, sert à ne pas les confondre... La voile est blanche, bien sûr, si pure, NETTE... Le soleil caresse les couleurs et souligne d'éclats la coque et les crêtes de l'eau... Sentiment d'équilibre, de calme... Image de vacances, de repos et de paix… Fanny ma mouette nous avons voulu entrer dans la carte postale, alors maintenant je t'emmène avec nous... Nous y sommes restés trois semaines, pour toi cela durera moins longtemps car on va vite avec les mots. Tu pars aux Baléares, choisis bien ton bateau: choisis son confort, son ambiance, ses occupants, mais néglige le foc et la grand-voile, il n'y aura pas la moindre brise, c'est juré, la Méditerranée, en Juillet, est un lac... Il te faut croire Thierry, notre marin, notre phare, notre assurance, et, sûre de ses prévisions, imiter ta mère, ton frère et ton père, poser tes pieds sur un voilier...
SAMEDI 5 JUILLET , 7H
Tu as 1 an depuis 2 jours. Tes grands-parents sont arrivés hier, gentils, fatigués, enthousiastes. Ton père le traitre te dépose dans leur auto pour une promenade de trois semaines...Tu bats des mains, les siennes restent vides et stupides, anéanties par la promptitude de l'enlèvement... Ta mère fait mine de s'affairer, tes ravisseurs entament vingt jours d'émerveillement. .. Quelles images dans ta tête dans l'autre maison, la voiture inconnue, dans les autres bras?
Nos derniers préparatifs sont brouillons et ensommeillés, encombrés d'orages de mauvais humeur qui nous rendent encore plus impatients de quitter le plancher des vaches ou autres mammifères grommelants et ruminants.
8H - 10H- MIDI
Les habits sont dans la bouffe, la bouffe dans des sacs, les sacs sur des habits, qui cachent les passeports et des boissons, et le fric, et d'autre bouffe, bref, on s'en va, c'est presque fait. J'imagine ma mère à Salses depuis 2 heures, avec toi zebulon sur les genoux, toi hurlant ton ras le bol de la voiture... J'ai tort. J'apprendrai le soir que le voyage aura été parfait...
15H
Saint Cyprien, rangement sur le voilier. Il faut caser des monceaux d'affaires plus les passagers: notre Yan (12 ans), tes chers parents, Denis notre ami, propriétaire du bateau, et son Benjamin de 8 ans ...
17H
Tout le monde sur le pont! Larguez les amarres! Cap sur PortVendres où nous attendent Thierry et ses compagnes: Bernadette, sa femme, Julie, sa fille (5 ans), Cathy sa belle soeur. Après 10 minutes de navigation, ta maman, Fanny petite écume, ta maman rentre un peu les épaules, sourit assymétriquement mais sans insister…et va s'allonger sur une couchette. Le ciel est bleu certes, le soleil franc mais ce petit detail indique que la mer n'est pas aussi plate qu'elle nous l'avait promis. ..
18H30
Ta mère, petit dauphin, remonte sur le pont, et d'un effort bref et violent se débarrasse du pot de l'amitié que nous avions bu à Saint Cyprien...
19H30
Port-Vendres est là, il a quand même fallu 2 heures... Nous accostons sans encombres, et rejoignons l'autre équipe. Fière Corinne récupère rapidement. Notre premier repas, à quai, nous permet d'offrir quelques assiettes, quelques couverts et… le bouchon de la cocotte minute, aux poissons du port en faisant la vaisselle... Thierry, lui, en vrai marin d'expérience, a dejà régalé ses femmes de calamars en beignets pour faire honte à nos boites de conserves...
21H
C'est le grand départ pour l'Espagne. La nuit s'installe, on fait semblant de l'ignorer. Quelques coups d'oeil au moteur diesel, histoire d'être sûrs de sa complicité... Denis n'est guère pressé de hisser la voile, moi j'ai déjà une ligne dans l'eau, Benjamin et Yan jouent, Corinne recreuse un peu les épaules et la mer n'est donc toujours pas aussi plate qu'elle nous l'avait promis...
22H
Il fait nuit. Tout le monde est déjà bizarrement fatigué par les petits efforts incessants que demande le maintien de l'équilibre. Le vent semble forcir... Corinne a discrètement repris contact avec la couchette. Du Tamara bateau ami nous ne voyons plus que le feu de mât, à distance croissante, comme s'il voulait nous échapper…Mais la lune est claire, et détaille la masse noire de la côte, rassurante…
23H
Thierry fait des signaux lumineux et change de direction. Le vent gagne chaque minute en vigueur et nous interdit ce soir de doubler le Creus, notre cap Horn... La mer sensiblement s'aiguise... Les enfants se sont endormis, et les falaises, massives dans le halo de lune, ne se rapprochent pas, nous avons l'impression de faire du sur-place...
01H
Nous entrons dans un port où brusquement le vent disparait. Notre ancre dévide sa chaîne pour la première fois, dans une grande baie très noire et plate, face à un cordon de lumières. Des moteurs de voitures, des musiques de dancing, dérangent le silence engourdi qui règne à bord et sur l'eau. Denis et moi, malgré une vraie lassitude, tenons à savourer ce plaisir d'être au calme... La mer n'était pas très amicale, ce soir, peut-être cherchait-elle à nous jauger... Pas encore rancuniers, nous sommes déjà surpris. L'autre bateau en un instant s'endort, sachant la nécessité de s'économiser. Notre cigarette est bonne, notre moral aussi. Corinne et les enfants ne sont plus malades, la vraie croisière est pour demain... Nous sommes à Puerto de la Selva, sur la Costa Brava. Dormons...
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