Ecrire une nouvelle peut sembler facile, c'est un texte court, avec peu de personnages, qui offre à l'écrivain une bonne visibilité des objectifs à atteindre selon l'histoire qu'il veut raconter. C'est pourtant un travail d'orfèvre…Dans ma présentation du libellé "nouvelles", j'insiste sur la concision que réclame l'exercice. Pas question des digressions que "permet" le roman, la nouvelle, c'est du concentré, un alcool si possible fort qu'on déguste dans un petit verre, pas un vin rond et ample qu'on peut siroter en prenant son temps…
C'est donc une performance pour un nouvelliste de marquer la mémoire de son lecteur avec un texte court… Raymond Carver a réussi ce tour de force à plusieurs reprises, et sa célébrité vient en grande partie de ce sens de l'épure poussé à son paroxysme… Il disait d'ailleurs "Quand on se met à rayer des mots qu’on vient d’ajouter, la nouvelle est finie".
Trois recueils surtout ont même contribué à ce que soit collée sur ce style dépouillé l'étiquette de "minimalisme":
Parlez moi d'amour
Tais toi je t'en prie
Les vitamines du bonheur
Trois bijoux qui m'ont laissé pantois à la lecture, par ce talent que possède l'auteur à raconter avec une apparente platitude d'apparentes banalités quotidiennes, d'où se dégage pourtant une bouleversante humanité, un peu comme le réussit John Fante dans ses romans.
Et voilà qu'un éditeur se met en tête de proposer l'intégrale des manuscrits originaux de Carver…
De quoi ? Les textes que j'avais lus n'étaient pas conformes aux manuscrits ? Son célèbre "minimalisme" devrait donc beaucoup aux ciseaux de son premier éditeur, qui en fait aurait "charcuté " (terme employé par Carver lui même) ses nouvelles avant publication ?
Retoucher l'icône d'un auteur qu'on aime est à première vue tellement insolent… Ensuite bien sûr, la curiosité est la plus forte, et je n'ai pas résisté, un peu fébrile à l'idée que le correcteur puisse avoir qui sait plus de talent que l'auteur…
L'inquiétude n'est en fait pas justifiée. Je n'ai pas encore tout lu (et je n'ai pas retrouvé, non plus, chez moi, certains livres du Carver "officiel", ne prêtez jamais vos bons bouquins, on ne vous les rendra pas…) Mais j'ai en particulier fait un test avec un des textes qui m'avaient laissé un souvenir ineffaçable, «C’est pas grand-chose, mais ça fait du bien» - dans les Vitamines du bonheur . Il s’appelle dans Débutants «Une petite douceur». Et la poignante douleur de ces parents qui perdent un enfant le jour de l'anniversaire de celui-ci et sont persecutés par les appels anonymes du patissier à qui ils avaient commandé le gâteau sans être hélas allés le chercher vous marque au fer rouge, avec sa fin comme une rédemption où transparait tout le malheur d'être homme… A la relecture le texte original est beaucoup plus développé. La version courte admise à publication est un coup de poing qui effectivement atteint son but en vous mettant KO avec une redoutable efficacité, mais la version longue vous étouffe progressivement… et au final est tout aussi inexorable. J'en conclus que si Carver est devenu célèbre en chef de file du "minimalisme", il le doit un peu sans doute aux parti-pris de son éditeur, mais qu'il est surtout un immense écrivain, capable de transmettre avec force ses émotions comme de les suggérer grâce à trois fois rien…
Lisez et relisez Raymond Carver, version "minimaliste"ou pas, c'est un grand moment.…
Si je ne vous ai pas convaincus, voyez l'article de Mathieu Lindon, dans Libération, ou bien écoutez les 40 dernières minutes de cet entretien sur France Culture.
merci de l'info .Je vais en amener dans la valise en décembre pour le lire sous les cocotiers-les nouvelles étant également une lecture idéale pour l'avion!
RépondreSupprimerPS:j'ai relu avec plaisir ta première bien agréable malgrè le clacissisme que tu lui prêtes.
REçu Carver,"Parlez moi d'amour" et attends "cours accéléré d'atheisme".Mon libraire me regarde maintenant avec bcp plus de respect.Mais l'édition révisée de Carver est-elle la charcutée ou l'originale?
RépondreSupprimerPour "Parlez moi d'amour", tu as la version initialement publiée, donc tronquée par l'éditeur, ou bien le tome 2 "Parlez moi d'amour" des "oeuvres complètes" aux éditions de l'olivier, qui est la version telle que l'a écrite Carver avant les interventions de son premier éditeur.
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