C'est la première explication mise en avant pour ce drame. Bien évidemment insuffisante. De la même manière qu'un chagrin d'amour ne tue pas à lui seul, je veux dire sans une structure psychologique particulière qui conduit la personne à en finir à cause de cet élément catalyseur, comment faire du surmenage autre chose qu'une simple marche dans l'escalade vers un tel sommet de violences ?
Mon propos n'est pas bien sûr de mettre mon grain de sel dans cette affaire horrible, mais de discuter un peu du surmenage des médecins…
Un bon médecin pour le public est un homme toujours occupé. Un restaurant vide rend tout de suite méfiant, une salle d'attente vide fait le même effet. Elle rend soupçonneux, et parfois agressif. Quand votre salle d'attente est vide car vous recevez sur rendez vous, en vous efforçant d'être ponctuel, si un individu survient, qui n'a pas noté ce qui pour lui est un détail , il prend souvent très mal le fait d'être refusé. "Mais docteur, vous n'avez personne !!" est l'expression qui revient le plus souvent. Vous avez beau expliquer que décaler toute une matinée de rendez vous (hors véritable urgence) fera autant de mécontents qu'il y a de patients à venir, il est rare que vos arguments l'emportent, et une contre publicité vexée vous guette dans les prochains jours… Vous n'avez pas été gentil, le deuxième adjectif qu'on aime attribuer au médecin. D'ailleurs, si vous êtes gentil, et comme on sait que vous êtes "toujours tellement occupé", vous comprendrez qu'on vienne vous consulter à midi et demie, ou qu'on vous demande de passer en visite " même tard ce soir, hein docteur, ça ne me dérange pas, APRES votre travail"…
Ainsi vos horaires de consultation et vos plages de visites à domicile, si vous n'y prenez garde, vont très vite se dilater… Vous allez voir 3 ou 4 personnes à la porte du cabinet 1h avant le début des consultations "pour passer en premier", vous en verrez 3 ou 4 autres arriver 5mn avant la fin programmée, qui entrent à pas de loup, "pour ne pas attendre 2 heures comme chaque fois"… Vous rentrez chez vous, mais c'est un endroit où on pense pouvoir vous joindre "tranquillement", en évitant la secrétaire ou le bip de la ligne occupée…
Il y a donc de fortes chances si vous continuez d'être trop gentil que vous soyez de plus en plus occupé ,adjectif qu'on pourra alors remplacer plus ou moins lentement par surmené…
Mais je ne voudrais pas avoir l'air d'accuser nos chers patients d'être les seuls responsables du "burn out" (comme c'est joli en Anglais !) qui guette les médecins. Beaucoup d'entre nous sommes au moins autant, sinon responsables, du moins coupables…
Parce que nous mêmes culpabilisons facilement de ne pas être en permanence occupés. Un jeune installé refusera difficilement une visite pour un motif futile, ou à une heure peu chrétienne, alors qu'il a passé sa journée à attendre qu'on fasse appel à lui. Se rend- il compte qu'il lui sera ensuite difficile de refuser plus tard ce qu'il a accepté sans sourciller au début ?
Un autre prendra l'habitude de faire revenir ses patients dans un délai court, soit par appât du gain, cela arrive, soit, plus souvent, parce qu'au début il est très anxieux, pas encore sûr de lui, qu'il veut s'assurer que son diagnostic ou son projet therapeutique tient la route… Plus tard, il trouvera gratifiant la croissance de sa "patientèle", car pour peu qu'il soit sérieux, mais surtout disponible, son ego et son porte monnaie seront comblés chaque mois un peu plus… Dans le même temps il cherchera donc probablement à "construire" sa vie, aura des enfants, une maison, des activités extra professionnelles, et le train de vie qu'il estime compatible avec son statut social… Toutes choses tissant bien sûr un écheveau de liens aptes à l'emprisonner doucement dans le filet à nœuds de la société de consommation…
Il aura peut être l'occasion de soigner des employés épuisés de n'avoir su refuser les promotions successives les hissant au delà des limites de leurs compétences, des entrepreneurs à bout car incapables de déléguer des responsabilités quand leur entreprise s'étend, des artisans dépressifs car submergés de commandes sans avoir pû dire non, par peur de détourner le client vers un concurrent. Mais il ne verra pas toujours en eux le miroir de ce qu'il est en train de devenir…
S'il s'en aperçoit, il peut redresser la barre, commencer à dire NON… Mais autant la boule de laine grossissait régulièrement à chaque OUI qu'il prononçait, autant le NON répété peut aisément effilocher les tricots… S'il est moins gentil, il deviendra moins occupé, et s'il est moins occupé, le risque pointe qu'il devienne aux yeux des gens un médecin pas si bon que ça …
Dire qu'il faut trouver l'équilibre revient à enfoncer une porte ouverte, mais si j'ai eu envie d'en parler un peu, c'est qu'ils m'ont semblé nombreux ceux qui ne voient même pas la porte…
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