Extrait de "Voyage au bout de la nuit" |
Plus je réfléchis à la question de savoir s'il fallait ou non fêter au niveau national le cinquantième anniversaire de la mort de Céline, plus je suis mal à l'aise… Le "Voyage au bout de la nuit" fut probablement le livre qui m'a le plus marqué, encore aujourd'hui en lire 3 pages au hasard me rend incapable moi même d'écrire 3 lignes ensuite… Trop de puissance, trop d'expressions bouleversantes, une galopade effrénée de mots qui nous entraine dans un torrent d'images hallucinées et en même temps hyper-réalistes, avec une simplicité confondante de langage parlé…
Hélas ce médecin des pauvres, auteur d'un texte inoubliable, était aussi capable de charretées d'injures antisémites, au moment même où le plus horrible génocide qu'a probablement connu notre planète ravageait le monde… Je hais le Céline de "Bagatelles pour un massacre" et de nombre d'autres imprécations de Mr Destouches…
Et j'ai envie de dire: à quoi servent ces "célébrations nationales", et pourquoi célébrer un auteur post mortem ? Ce n'est pas l'auteur qu'on veut célébrer, c'est une oeuvre, ou même une partie de celle ci… Si la question se pose, c'est parce qu'on ne dissocie pas l'auteur et l'oeuvre, et parce qu'on reste empêtrés dans le symbolisme de cérémonies surannées… Une oeuvre, ou une partie d'une oeuvre, toute admirable qu'elle soit, se retrouve souvent entachée des crimes ou turpitudes ou névroses de l'auteur…
Je me souviens d'une époque où 2 courants de critiques littéraires s'affrontaient sans cesse: le premier essayait d'appréhender une oeuvre "à travers" la vie et le caractère de l'auteur, le second s'intéressait au texte et au texte seul… Discussions sans fin, qu'on retrouvait aussi autour des prises de position politiques, des articles de journaux… Sais tu pourquoi untel a écrit ça ? Sais tu qu'il est ceci ou cela ? Où est son intérêt d'écrire ceci ?
Savoir que Genet était voleur, que Kant pensait son oeuvre en faisant des aller-retours en automate obsessionnel dans son jardin, qu'Aragon a été Stalinien pur et dur, que Picasso pouvait être féroce et avare, que Bukowski était alcoolique, que Michaud ou Baudelaire se droguaient, que Rimbaud vendait des armes, etc… n'enlève rien au génie de leurs créations.
C'est le "Voyage" qu'on doit célébrer, si on veut célébrer, pas l'atrabilaire délirant de Meudon.… Ces dépôts de gerbe par la République sur des tombes d'écrivains connus ou de soldats inconnus sont désolants d'inutilité pompeuse… Lisez ou relisez "Le Voyage", ce sera plus profitable et moins suspect qu'aller sur la tombe du Dr Destouches…
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