C’est après avoir écouté les entretiens avec Jim Harrison que je vous ai conseillés dans mon dernier billet que me vient l’idée de mettre mon grain de sel en papotant dans la cuisine.
Jim H était c’est bien connu un gastronome, ou plutôt un gourmand capable d’excès de table que beaucoup de bonnes fourchettes n’oseraient envisager. Douze douzaines d’huitres englouties à Cancale, dix neuf plats honorés dans un banquet du XVIII è reconstitué chez son ami Gérard Oberlé, avec lequel il aimait sillonner la France des bonnes tables, ce n’est pas pour rien qu’il avait du diabète, de l’hypertension et souffrait de crises de goutte spectaculaires.
Bien incapable de le suivre sur ce terrain (et sur bien d’autres hélas) je note toutefois qu’il a appris très jeune qu’il n’y avait grosso modo que 3 cuisines valables dans le monde, la française, l’italienne et l’asiatique. Bien sûr des exceptions notables rendent ce jugement un peu abrupt: qui ne se régalerait pas d’un couscous de graine parfaite avec épaule d’agneau confite de 12h ou d’une vraie paella marinera aux fruits de mer, deux exemples parmi d’autres… Mais globalement on n’est pas loin de la vérité. Même si les 3 ont bien quelques petits défauts pour les pinailleurs: la cuisine asiatique ferait trop de fritures, l’italienne utiliserait un peu trop volontiers les pâtes et les fromages, la française serait parfois trop compliquée/sophistiquée.
Cette dernière critique trouve un écho chez moi dans la mesure où ma chère compagne ne met les pieds dans la cuisine que si, ayant égaré ses clés (évènement terriblement fréquent), elle est obligée de fouiller la maison dans ses moindres recoins, y compris, donc, la cuisine, pour les retrouver. Prélever un simple yaourt dans le frigo peut en effet parfaitement suffire dans son cas pour étourdiment substituer au-dit yaourt un trousseau de clés si elle téléphone en même temps.
Je n’ai donc pas sur ce point la chance de Jim Harrison qui attribuait la longévité de son couple depuis son mariage à l’âge de 23 ans au fait d’adorer cuisiner en commun avec son épouse. Et trouver, seul, des idées de plats fait toucher du doigt les difficultés de générations de femmes au foyer obligées de confectionner des repas chaque jour sans trop se répéter. Quand je regarde autour de moi, la génération de mes enfants côté féminin s’est à l’évidence libérée en masse de ce type de contrainte, mais la mienne, de génération, trouve encore quelques veinards dont la femme cuisine régulièrement, on est sans doute le précurseur qu’on mérite d’être …
C’est certainement donc par manque d’imagination quotidienne que je suis plutôt adepte des plats longtemps mitonnés qui sont même parfois meilleurs quand ils sont réchauffés, ce que je m’empresse donc de faire le lendemain, type ragoûts, daubes, gratins, etc… Ceux qu’on peut « oublier » sur un feu doux sans risque de catastrophe. Et par paresse bien sûr, comme faisaient déjà nos grands mères à la campagne, qui laissaient, finaudes, ronronner leurs faitouts au coin de l’âtre, ces grandes marmites où se servaient les hommes après les travaux agricoles ou les journées de chasse, quelle que soit l’heure de retour à la ferme et quelle que soit la quantité nécessaire, suffisait de compléter par une bouteille de vin, une miche de pain, une pomme ou du fromage.
Manque d’idées, certes mais pas seulement: c’est aussi par nostalgie de ces fumets si particuliers qu’on regrette de ne plus trouver facilement d’auberge proposant au randonneur ce type de plats mijotés rustiques et tellement délicieux parce que faits avec les légumes du potager et la viande d’une étable nourrie à l’herbe ou d’une basse cour gavée de grains.
Dans les gites de montagne on vient faire le plein une fois par semaine chez le grossiste Métro local où les souris d’agneau sont précuites et sous blister. Réclamer de manger des truites ou une friture du torrent qui cascade sous la salle du restaurant, ou des cèpes de la forêt d’en face provoque un demi sourire poli et un léger haussement d’épaules. Vous vous trompez d’époque cher monsieur, et puis comme l’a dit le médecin de Big Jim à son patient, si vous vous rabattez sur l’entrecôte et les frites avec une bouteille de vin (notre plat du jour, euh, de tous les jours…), il faudra marcher au moins 2 heures demain pour compenser.
C’est pourtant bien l’inverse qui fait sens, marcher 2 ou 4 heures pour le plaisir, cueillir des morilles ou des cèpes et obtenir au retour avec ces délices une succulente recette de grand mère servie dans une assiette épaisse, pas sur ces plats mornes et rectangulaires où zigzague autour de 3 tomates anémiques un filet tremblant de vinaigre balsamique en signature de fade modernité. Tant que ce n’est pas l’été, dont la chaleur nous cantonne, parfois pour le plaisir aussi soyons honnêtes, aux salades et aux fruits, éventuellement quelques grillades, laissons leur chance à nos fricots, guère sophistiqués et pourtant pas si répandus dans le monde, hormis à la rigueur toutes les variantes de notre pot au feu.
Qu’on puisse dire, sans forfanterie, comme Jim H s’est entendu répondre, un jour qu’il demandait où on mangeait le mieux, dans le Kansas: « eh bien, ici, chez soi »
Qu’on puisse dire, sans forfanterie, comme Jim H s’est entendu répondre, un jour qu’il demandait où on mangeait le mieux, dans le Kansas: « eh bien, ici, chez soi »
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