Pour sortir un peu de l'ambiance délétère créée par ces attentats qui réduisent en charlie charpie des auteurs de petits mickeys irrespectueux, en attendant peut être de réserver le même sort à n'importe quelle ménagère achetant ses blinis ou son poulet pour le repas dominical, rien de tel que se plonger dans un bouquin, si possible épais comme un dictionnaire, pour avoir le temps de se perdre dans les univers proposés, et de s'éloigner d'autant de ce monde déboussolé.
Je me suis donc lancé dans les longues distances, avec d'abord "L'empreinte de toute chose" d'Elizabeth Gilbert, auteur du best-seller Mange, prie, aime:
Alma Whittaker naît en 1900, à Philadelphie, d’un père anglais qui a fait fortune dans le commerce du quinquina, et d’une mère hollandaise érudite. À leurs côtés et au contact des chercheurs qui gravitent autour d’eux, Alma, intelligente et éclectique, acquiert la passion de la botanique. Elle possède la soif d’apprendre, qui la poussera à devenir spécialiste… des mousses, ce qui la conduira à explorer le monde du XIXè. Intéressant, mais un peu artificiel, notamment quelques épisodes venant comme un cheveu sur la soupe, prouvant que l'héroïne, pourtant peu séduisante, est aussi parfois intéressée par le sexe.
Le sexe n'est pas non plus le thème dominant, même s'il y fait de rares apparitions, apanage de jolies fleurs "faites pour ça" dans le roman fleuve d'Antonio Garrido: "Le lecteur de cadavres" qui nous emmène jusqu'au XIIIè siècle en Chine, pour conter l'histoire romancée de l'ancêtre des médecins légistes.
Un thriller historique passionnant bourré de détails sur la Chine d'alors, même si le héros va de Charybde en Scilla, par une sorte de fatalité masochiste, se tirant toujours au dernier moment de situations extrêmement périlleuses pour tomber immédiatement dans un traquenard encore pire. Pour qui veut s'éloigner de la cruauté, pour le coup c'est raté !
Beaucoup plus proche de nous et bien plus court (450 pages seulement !) "Le dernier stade de la soif" de Frederick Exley (1930-1992) est sans doute le plus difficile à commenter. La référence à Bukowski est évidente, avec cette autofiction hallucinée et hallucinante où le vrai et le faux sont indéchiffrables. Un long délire de poivrot jusqu'auboutiste et malgré tout génial, abhorrant toutes les valeurs de la société américaine, au point de s'écrouler en permanence ivre-mort peu importe le lieu, jusqu'à être hospitalisé en psychiatrie et subir insulinothérapie et électrochocs avec une espèce de complaisance lucide et masochiste effectivement digne d'un psychopathe. Mais le monsieur rêve de gloire, sans doute littéraire, en procrastinant ou brûlant ses écrits, il idolâtre dans un défi puéril un joueur de foot américain célèbre, sans doute le seul individu digne selon lui (peut être avec son père) de jouer le jeu du rêve américain, et présente toutes ses propres défaites, blessures, humiliations, lâchetés, impuissances, avec une lucidité effrayante, comme un désastre auréolé. Sa langue est effectivement magnifique, même si la jouissance à débiter ces torrents de mots est un peu suspecte.
Un suicide vécu comme une victoire, ça ne vous rappelle rien ? Mais au moins cette violence n'a-t-elle eu pour victime que lui-même…